48 heures à Nîmes
Occitanie/2024
La préfecture du Gard s’endormait sous ses palmiers. Depuis peu, un vent nouveau souffle sur sa gastronomie et réveille les palais. Conjuguant le passé au futur antérieur, elle a plein de projets en tête. En attendant leur concrétisation, une balade s’impose sous le vol poétique des martinets.
© david keith jones
11 h 30, un jeudi. À l’extérieur du marché des halles, sur le trottoir de la rue Guizot, les habitués sont là, en pleine conversation, un verre à la main. Derrière le comptoir, des couteaux, des outils et quelques cartes postales. Un joyeux bordel qui n’a rien du café de quartier. «J’affûte l’amitié avec du picpoul-de-pinet», glisse Jérôme Domingo dans un grand éclat de rire tout en servant le petit blanc. Bon vivant, cet artisan coutelier ouvre ce kiosque, extension de son atelier voisin, du jeudi au dimanche. C’est devenu un point de rendez-vous. Après quinze ans à Thiers, l’artisan est revenu dans sa ville d’origine. Bouchers, poissonniers et restaurateurs du marché et d’ailleurs (dont La Pie qui Couette et Vincent Croizard) lui commandent des lames ou les lui déposent. Jérôme Domingo affûte, répare et vend tout ce qui tranche. Il crée aussi des couteaux aux manches en bois de cade, d’olivier, de buis et même en corne de toros provenant des arènes de Nîmes.
On le sait, toutes les routes mènent à Rome. À Nîmes, toutes les routes mènent aux arènes. La tauromachie fait partie de la culture locale et se découvre ici et là : des trophées taurins ornent les murs du Grand Café de la Bourse ; des affiches de corrida décorent le mythique hôtel Maison Albar L’Imperator, récemment rénové, où les grands toreros ont leurs habitudes. Quant aux manadiers, on les croise à la boutique Les Indiennes de Nîmes, essayant des pantalons de gardian en moleskine de coton. De là aux arènes, ils n’ont plus qu’à pousser la porte. Édifié vingt ans après le Colisée de Rome, l’amphithéâtre de deux millénaires est l’un des mieux conservés du monde romain. Oublions les touristes, fermons les yeux et imaginons un combat de gladiateurs sous les cris de la foule. Frissons garantis. Cet entrechat dans le temps se prolonge à côté, au musée de la Romanité. Drapé dans 7 000 lames de verre par l’architecte Elizabeth de Portzamparc, il déroule 25 siècles d’histoire parmi lesquels les secrets des Volques et des Romains. Trop rares (deux fois par an) y sont aussi organisés les Aper’Opéras suivis d’une dégustation de vins costières-de-nîmes.
Mais c’est la Maison Carrée (plutôt rectangulaire avec ses 31 mètres sur 15 !) qui a désormais tous les honneurs. En 2023, elle a enfin été inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Ce temple romain, l’un des rares à avoir traversé les siècles, dialogue à merveille avec l’architecture de verre et d’acier du Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Norman Foster. Dans l’ombre du bâtiment, Textures Comptoirs & Objets est un joli repaire pour une pause-café, apéro ou déjeuner. Il est sur le chemin des Jardins de la Fontaine, une mise en scène grandiose des vestiges antiques qui bruissent de chants d’oiseaux.
Grimpons sur la colline : la tour Magne offre une vue saisissante de la ville. De là, il suffit de dérouler le fil «denim» jusqu’à l’ancien palais épiscopal du XVIIe siècle, sublime, abritant le musée du Vieux Nîmes. Dommage que l’histoire de la toile nîmoise laisse ici sur la faim. Va donc pour la légende. Dès le XVIe siècle, la ville se distingue pour son sergé de laine ou serge de Nîmes, une technique de tissage qui finit par traverser l’Atlantique. Le coton s’en mêle. Au XIXe siècle en Californie, un certain Levi Strauss taille le denim en vêtements de travail. Ces «blue jeans», alors salopettes, sont destinés aux bûcherons, puis aux chercheurs d’or. Leurs poches, consolidées par des rivets, sont un succès. On connaît la suite.
À Nîmes, Guillaume Sagot écrit un nouveau chapitre du denim en renouant avec la tradition : il tisse lui-même la toile. «J’aimerais remettre la ville sur la carte du textile», dit-il. Il en prend bien la direction. En attendant, ses jeans durables s’enfilent dans son magasin Les Ateliers de Nîmes. Cette virée shopping est aussi un bon prétexte pour se perdre une fois de plus dans les ruelles de l’Écusson, le centre historique, bordées de beaux hôtels particuliers et de places animées. Elles fleurissent de cafés où le pastis semble toujours frais. Mais attention, à trop en boire, on aperçoit des crocodiles voler ! Il faudra se pincer en voyant les quatre gros spécimens naturalisés, suspendus au plafond de l’escalier de l’hôtel de ville. Tout un symbole. Le crocodile, attaché à un palmier, fait partie des armoiries de Nîmes depuis 1535, à la suite de la découverte d’une pièce antique. Qui fut frappée pour commémorer la victoire d’Auguste sur l’Égypte en 31 av. J.-C. Sacrés Romains. Ils semblent n’être jamais partis !
B. D.
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