48 heures à Nantes
Centre-Val de Loire - Pays de la Loire/2023
La politique culturelle d’une ville peut-elle influencer sa scène culinaire ? Sans aucun doute. Et c’est ce que Nantes prouve depuis 30 ans. A l’origine de ce renouveau, une véritable volonté politique et une conjonction réussie entre urbanisme et culture dans un milieu urbain dégradé où tout était à (re)faire.
© xlatlantique
Au sol, une ligne verte qui parcours la ville. Elle mène au Mémorial de l’abolition de l’esclavage, aux anneaux de Daniel Buren qui longent un quai, au Passage Pommeray, à un manège fantastique, à un ruban à mesurer géant, à une jungle intérieure qui envahit la cour d’un immeuble, à la sculpture d’un homme qui fait un pas de côté…bref, un chemin à suivre tracé à même le sol menant à plus d’une centaine de lieux, d’œuvres pérennes ou temporaires qui font de la ville de Nantes, un jeu de piste et de découverte permanent. Nantes fait le buzz avec sa programmation artistique, mais aussi avec une scène culinaire particulièrement dynamique.
En 1990, le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault (élu l’année précédente) demande à Jean Blaise (qui déjà à la demande de Jack Lang avait y avait fondée en 1982 une Maison de la Culture) de réveiller la ville avec un évènement culturel.
« A cette époque, Nantes ne ressemble pas à grand-chose !», raconte Jean Blaise, aujourd’hui directeur du Voyage à Nantes « Plusieurs fois détruite, la ville sortait d'une période historique peu favorable. Entre les deux guerres, on a comblé les bras de la Loire, alors que c’était une ville dans l'eau, au profit de la voiture. Ensuite, ce sont les bombardements et enfin, à la fin des années 70, les chantiers navals qui s’écroulent. Quand Jean-Marc Ayrault arrive à Nantes en 89, la ville n'a plus d'identité et a presque tout perdu ».
Le maire décide alors de miser sur la culture pour lui donner rapidement une nouvelle image. En 1990, est lancé le festival des Allumées, évènement culturel nocturne qui pendant six nuits place Nantes au rang des grandes villes du monde qui vivent la nuit. C’est du moins ce que le festival laisse croire, dédiant même cette première édition à la ville de Barcelone, épicentre de la movida espagnole. Pendant 6 ans Les Allumées posent la première pierre du renouveau culturel de la ville, lequel se concrétise durablement avec la création en 2000 du Lieu Unique, centre culturel polyvalent, installé dans l’ancienne biscuiterie Lu, réhabilitée par l’architecte Patrick Bouchain. En même temps, un vaste projet de réaménagement de l’Ile de Nantes, est entrepris avec l’architecte-urbaniste Alexandre Chemetoff. Il s’agit en renouant avec la Loire de créer un nouveau centre et de valoriser le patrimoine industriel. Les fameuses Machines de L’ile s’installe dans les nefs du Parc des Chantiers, elles y sont toujours et tous les jours le Grand Éléphant part en promenade, avec quelques visiteurs sur le dos et sous les yeux ébahis des petits comme des grands. Aujourd’hui se sont les start-up et industries créatives qui s’installent dans les bâtiments neufs de l’Ile, aux côtés de l’École des Beaux-Arts, du pôle universitaire dédié à la culture numérique et à l’innovation, et du CHU, entrainant dans leur sillage de nouveaux commerces et restaurants.
Déjà au Lieu Unique, dans cet espace ouvert largement à tous les publics, la cuisine avait sa place. « La culture doit s’immiscer dans la vie, partout, tout le temps, soutient Jean Blaise. Elle passe par la façon de s'habiller, la mode, l'architecture. Et aussi par la façon de manger. Le Lieu Unique est ouvert toute l'année, tous les jours de 11 h à à 2h matin. Il y a restaurant, un bar, un salon de lecture, un hammam au sous-sol et une crèche au deuxième étage…Vous pouvez y passer des jours sans aller au spectacle ».
En 2011, nouveau tournant pour la ville, et pour Jean Blaise, avec la création du Voyage à Nantes, qui est à la fois l’organisme créateur du parcours conduisant le visiteur aux œuvres disséminées dans la ville, et aussi chargé de la promotion de Nantes via la culture. Et c’est à ce moment là qu’intervient de façon plus affirmée et formelle le volet culinaire, avec à sa tête Richard Baussay, qui avait déjà derrière lui un parcours de programmateur musical au Lieu Unique.
« En 2005 déjà, nous avions créé un évènement qui croisait musique et vin. » relate Richard Baussay « C’est ce qui m’a permis de redécouvrir le muscadet. Parce que comme pour tout bon Nantais, je le considérais comme petit blanc ordinaire destiné à l’export. Et là, j'ai rencontré des vignerons qui faisait de supers vins ! Partant de cette expérience, on s’était dit avec Jean Blaise que la gastronomie pourrait aussi entrer dans la programmation du Lieu Unique. C'était finalement un peu la même chose que j'avais vécu avec la musique électronique, où il y avait la nécessité de faire médiation, de trouver des formes d'événements pour faire comprendre et apprécier les choses au grand public. C'était aussi une époque où les chefs commençaient à sortir de leurs cuisines ».
En 2010, Jean Baussay monte un premier évènement, en collaboration avec Omnivore, Les Goûts Uniques, pour lequel il réunit chefs et producteurs. La seconde édition, en 2012, est parrainée par Alain Passard et accueille les chefs William Ledeuil, Flora Mikula, Jean-Marie Baudic, Bertrand Grebaut…mais aussi les représentants locaux d’une scène culinaire qui commence à frémir et dont le meilleur ambassadeur est alors Éric Guérin de la Mare aux Oiseaux. Ludovic Pouzelgues, qui a passé 4 ans chez Jean-Yves Guého de l’Atlantide, LE restaurant gastronomique nantais, est aussi de la partie, alors qu’il vient tout juste d’ouvrir son LuluRouget. Le Voyage à Nantes publie dès 2011 son premier guide des Tables de Nantes, édité depuis chaque année, avec alors 87 adresses. Dont il ne reste que 16 aujourd'hui : c'est dire l’énorme renouvellement qui s’opère les années suivantes. Dominic Quirke, ouvre Pickles en 2014, Jean-François Pantaléon Roza en 2017 et la même année, Mathieu Pérou reprend les rênes du Manoir de la Régate ouvert par son père Loïc en 1995. En 2018, Ingrid Deffein et Guillaume Decombat ouvrent Sources, suivis en 2019 par Lucie Berthier Gembara ou Sarah Mainguy avec respectivement leurs restaurants Sepia et Vacarme. De tous cotés les ouvertures se succèdent, Nantes fait le buzz avec des établissements comme Omija, Meraki, Les Cadets, Bairoz…, le salon de pâtisserie Rosemary, la boulangerie-café Maison Arlot Cheng, le food Hall Magmaa…
« La ville, par sa dynamique culturelle devient attractive, poursuit Richard Baussay. Les chefs qui sont déjà installés en parle à leurs copains, en leur disant : plutôt qu’ouvrir un énième resto à Paris, viens plutôt à Nantes ! Il y a de la place, des produits de dingue et un public. Et nous, on les accompagne en leur donnant de la visibilité. » L’exemple nantais devient un modèle de réussite inspirante, car économiquement profitable. Nantes se classe dans le top 3 des communes les plus attractives pour les Franciliens et la métropole a accueilli entre 2014 et 2020 environ 9 000 nouveaux habitants par an. L’édition estivale 2022 du Voyage à Nantes a attiré 607 000 visiteurs, un chiffre se rapprochant des chiffres records d’avant la crise du covid.
« Chaque fois qu'on a commencé une opération, nous avons été regardés avec beaucoup de doutes, surtout par les commerçants, conclut Jean Blaise. Personne n'imaginait, quand on a fait le Voyage à Nantes, qu’on ferait venir des visiteurs avec de l'art contemporain et que les retombées économiques allaient être multipliées par dix. Notre plus grande réussite, c'est d'avoir réussi à faire comprendre que la culture, la création artistique, même quand elle est un peu déjantée, même quand elle est incompréhensible, a une valeur inestimable. »
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