48 heures aux Grandes Carrières
Paris - Île-de-France/2022
S’échapper dans ce bout du 18e arrondissement, c’est retrouver un peu de l’esprit titi parisien, mais dans une ambiance résolument plus arty. À parcourir bien chaussé : ça monte et ça descend sec !
© daliu
Heureux les touristes ! Ils peuvent savourer, avec un regard neuf, la butte Montmartre, que les Parisiens, eux, ne voient même plus. Autour du Sacré-Cœur et de la place du Tertre, un charme unique vaut certes toutes les images de carte postale. Mais il faut savoir s’en éloigner, certains le savent bien. Ils filent alors légèrement vers l’Ouest, vers les Grandes Carrières, quartier au relief chahuté, tout autant imbriqué dans la butte, appartenant lui aussi au 18e arrondissement. Lequel est l’un des plus peuplés de Paris avec 32 014 habitants/km2. Malgré cette densité, l’esprit de village est resté accroché aux flancs de la colline : vignes urbaines, jardins privés, ruelles escarpées aux noms enchanteurs (l’allée des Brouillards), adresse secrète (l’Hôtel Particulier) et square (Suzanne-Buisson) animé par les habitués taquinant la pétanque.
Bien sûr, la gentrification est passée par là. Les locataires restent moins longtemps et les prix, à certains endroits, se sont envolés – jusqu’à 14 553 € le mètre carré à l’achat. Le meilleur baromètre reste celui de la rue Lepic, débutant sur le boulevard de Clichy. Quand le film Amélie Poulain sort en 2001, les touristes du monde entier affluent comme des hirondelles au Café des Deux Moulins qui servit de décor. Les commerces de bouche sont remplacés dans la foulée par d’autres boutiques. La pâtisserie familiale Les Petits Mitrons résiste. Ses tartes aux fruits de saison, à la pâte caramélisée, sont pour certains de véritables madeleines de Proust. Les artisans se font désormais rares. Pourtant, « avoir été charcutier rue Lepic est aussi honorable, sinon aussi historique, que d’avoir été marchand de tableaux rue du Faubourg-Saint-Honoré (…). La rue Lepic est comme le fleuve de Montmartre qui arrose le pays, lance des affluents dans l’épaisseur du quartier, entretient la flore et produit des places qui ont plus d’importance dans l’histoire de la Troisième République qu’une nuée de ministres ou de décrets », écrivait Léon-Paul Fargue (1876-1947) dans Mon quartier.
C’est l’époque lointaine des marchands de quatre saisons, des grisettes, des marlous, des cocottes et de leurs poulbots (gavroches de Montmartre dessinés par Francisque Poulbot). Fermons les yeux : on entend presque les joutes verbales des voyous de Quat’Sous, les sabots des chevaux sur les pavés et les cris « À la fraîche, à la fraîche ! » des derniers vendeurs d’eau de coco (macération de bâtons de réglisse dans de l’eau citronnée)... Les Grandes Carrières bouillonnent de vie. Elles doivent leur nom aux carrières de gypse exploitées jusqu’au milieu du XIXe siècle à ciel ouvert et en galeries souterraines. Coiffant la butte, la trentaine de moulins à vent produit la farine et broie les pierres de gypse dont le plâtre habille Paris.
Montmartre (et les Grandes Carrières) sont aux portes de la capitale jusqu’en 1860, date de leur annexion. On vient déjà y boire le vin, qui n’est alors pas imposé. On y dansera plus tard en levant la jambe au Moulin Rouge voisin. Les artistes bohèmes font de ces lieux un laboratoire créatif. Certains habitent le Maquis, terrain vague où poussent des jardinets autour de cabanes et de maisons en torchis. Il sera rasé dès 1903 pour faire place à l’avenue Junot, bordée de belles maisons, dont celle de Tristan Tzara (au no 15) dessinée par l’architecte Adolf Loos. Plus bas encore, c’est plus haut. C’est ainsi. On perd vite le nord. Le rez-de-chaussée se retrouve au premier étage, épousant le relief, ce qui ne dérange ni les cafés ni les restaurants.
L’histoire du quartier est mêlée aux plaisirs de la chair et de l’esprit… et de l’art. Le musée de Montmartre (en réalité, à une rue des Grandes Carrières) raconte cette effervescence, évoquant le Moulin de la Galette, où Renoir aimait danser le samedi, et le Bateau-Lavoir, où Picasso peignit Les Demoiselles d’Avignon. Dans les jardins du musée, au Café Renoir, nos pensées vont à tous les autres, tels -Guillaume Apollinaire et Max Jacob.
Que de fantômes hauts en couleur hantent les Grandes Carrières ! On les retrouve au cimetière Montmartre contenant tout le bottin artistique : Michel Berger, Edgar Degas, Alexandre Dumas, Théophile Gauthier, La Goulue, Sacha Guitry, François -Truffaut… À une aile d’oiseau de là, Michou, le roi des nuits parisiennes, repose depuis 2020 dans l’intimiste cimetière de Saint-Vincent. Devant son buste aux lunettes bleues, un passant nous confie : « La première fois que j’ai vu Michou, c’était à l’enterrement de Dalida [à Montmartre, en 1987, NDLR] et la dernière, c’était ici. Il allait mal. On a bu du champagne ensemble sur sa tombe. » Le noceur avait acheté sa chambre de l’au-delà, histoire de danser dessus tout en tirant une révérence au quartier.
Ouvert
Ouvert
Ouvert
Ouvert
Produit de bouche, équipement de cuisine, art de la table, solution de service ...
Retrouvez la liste complète des partenaires qui font confiance à Gault&Millau
Tous nos partenaires