Les mille et une facettes de la pistache : de ses bienfaits à la gourmandise
On la mange souvent distraitement à l’apéritif sans trop lui accorder d’importance. Erreur, sous la coque se cache un fruit (souvent) savoureux aux grandes qualités nutritionnelles et dont les prix peuvent grimper en flèche. Encore très majoritairement importée en Europe de Californie et d’Iran, la pistache pèse de plus en plus lourd sur le marché international.
Près du pont de l’Alma, à Paris, un pigeon fait les cent pas devant la porte ouverte de La Pistacherie. Osera-t-il, ou pas, se faufiler à l’intérieur entre les pieds des clients pour ramasser les miettes ? La boutique est pleine, personne ne le regarde. Tous les yeux sont braqués sur les vitrines. Derrière, à côté des amandes et autres baies, les pistaches déclinent leur riche palette : rose pâle, fuchsia, violet, jaune anis et une variation de verts, dont celui de Kermit la grenouille. C’est au Libanais Charles Sakr que l’on doit cette boutique, ouverte en 2010. Auparavant et durant trente ans, il fut antiquaire spécialisé dans les objets et mobiliers des XVIIe et XVIIIe siècles, mais aussi collectionneur d’objets de pharmacie. « J'ai voulu créer un concept de pharmacie ancienne proposant des produits bons pour la santé et bons pour le palais. Dans mon pays, le Liban, les fruits à coque et les baies sont consommés quasi systématiquement à l’apéritif. La pistache, si bonne à déguster, était encore très méconnue en Europe et surtout en France. » De fait, La Pistacherie ouvre le monde, assez fermé, des pistaches. Sourcil froncé, on se penche sur les étiquettes des bacs : pistache de Bronte Sicile, 150 €/kg ; pistache première récolte d’Antep Turquie, 128 €/kg ; pistache émondée crue Grade « A » Iran, 128 €/kg ; pistache curry 68 €/kg ! La pistache s’apparente ici à un bijou par sa couleur et ses prix extravagants. Son goût aussi. Rien à voir avec celle de supermarché, grignotée compulsivement lors de l’apéritif ! « J'aime comparer la pistache au vin, confie Sandra Murillo de la boutique. Chaque fruit a un goût différent lié à son terroir. Le goût éclate en bouche, végétal, reste longtemps, puis s’efface. »
Une longue histoire
Mais d’où vient ce fruit à coque ? D’Asie centrale et des plateaux d’Afghanistan, la pistache sauvage aurait peu à peu gagné l’actuel Iran, la Syrie, l’Irak, une partie de la Turquie, puis le Liban. Elle serait arrivée en Italie vers le i er siècle apr. J.-C. avec Lucius Vitellius, consul en Syrie, puis aurait continué sa route au gré des échanges commerciaux jusqu’à la Grèce et l’Espagne. On la retrouve dans l’Ancien Testament. La reine de Saba, croit-on savoir, en était folle. Quant au grand empereur moghol Akbar, il n’aurait dégusté que des poulets nourris durant plusieurs semaines à la pistache ! Bref, la pistache a une longue histoire. Elle pousse sur le pistachier, qui s’accommode volontiers des sols sableux, limono-argileux, argileux, calcaires, et idéalement en altitude (entre 600 et 1200 mètres, voire 2000 mètres). L’arbre, qui ne dépasse pas 6 mètres en général, aime la chaleur, mais il luire 600 et 1200 mètres, voire 2000 mètres). L’arbre, qui ne dépasse pas 6 mètres en général, aime la chaleur, mais il lui faut aussi du froid. D’où sa prévalence historique dans le pourtour méditerranéen. Il y a bien sûr quelques exceptions, comme le Pistacia vera L. du jardin des plantes de Paris. « Son semis date de 1704, avance Sophie Kling, responsable scientifique des jardins botaniques du Muséum national d’histoire naturelle. Le botaniste Tournefort avait rapporté des graines lors de son expédition au Levant. Pour lui, le pollen était un excrément de la plante. Un de ses disciples, Sébastien Vaillant, eut une autre intuition, qu’il mit en pratique. Il préleva une branche fleurie de l’arbre et la secoua au-dessus d’un autre pistachier disparu depuis. Et là, miracle, quelque temps plus tard, l’arbre a produit des fruits. En 1717, Vaillant présente la théorie de la sexualité des plantes lors d’une conférence qui fait grand bruit. Il compare les organes reproducteurs végétaux à ceux des animaux. Cela choque énormément à l’époque. » Sébastien Vaillant mettait en évidence le côté dioïque de l’arbre, mais c’est finalement Linné qui récoltera les lauriers quelques années plus tard.
Domination des États-Unis
Aujourd’hui, la pistache semble être le nouvel or vert. Selon le cabinet Mordor Intelligence, la taille du marché devrait atteindre 4,70 milliards de dollars en 2024 et croître jusqu’à 5,85 milliards de dollars d’ici à 2029. On comprend donc que les appétits s’aiguisent autour de la pistache ! Selon le département américain de l’agriculture, les États-Unis sont les premiers producteurs mondiaux avec 677000 tonnes (63%), loin devant l’Iran (14%), à qui ils ont volé la place en quelques décennies, et la Turquie (15%), suivis de la Syrie (5%) et de l’Europe (3%). Notons qu’il est étrangement difficile de recueillir des chiffres exacts. Allons donc vers les origines de ce fruit et faisons-le parler.
« Ouvre ta bouche, pistache souriante, verse de tendres paroles / Je t’en supplie, donne-moi la douceur de ton sourire », écrivait le célèbre poète perse Hafez (1325-1390), qui n’avait pas son pareil pour chanter l’amour. La pistache d’Iran reste l’une des références les plus recherchées, car considérée comme l’une des meilleures. Elle pousse dans la vallée de Kerman, qui a donné son nom à la variété que l’on retrouve dans le monde entier (sauf en Iran !), créée à partir d’une hybridation avec une pistache d’Iran. Owhadi, Ogah, Kalehghouchi… Les variétés iraniennes sont si nombreuses qu’il faudrait un livre pour les présenter. Une singularité : on les récolte un peu avant la maturité pour obtenir le plus beau vert. Ainsi, la pistache a une gamme allant du vert le plus foncé (S), au très foncé (A) jusqu’au jaune (H). Plus elle est verte et plus, elle est chère. Récoltée à la main, cette graine iranienne inonda longtemps les marchés internationaux et américains. À la révolution islamique de 1979, tout bascule.
Les États-Unis imposent à l’Iran un embargo sur le pétrole, mais aussi sur les pistaches, dont les Américains sont friands. Certains sentent le filon et sèment des pistachiers de la variété Kerman sur le sol de l’Oncle Sam. Ils peuvent dire merci au botaniste William Whitehouse qui, dès les années 1930, récolte en secret des graines en Iran pour les rapporter aux États-Unis ! Aujourd’hui, le marché américain se porte très bien, jusqu’à inonder nos trottoirs de publicité. American Pistachio Growers (APG) vient de lancer une énorme campagne de publicité – « Surprenant ! Les pistaches sont riches en antioxydants » – pour encourager leur consommation. À croire que les Français n’en mangeraient pas assez – environ 10000 tonnes par an contre… 470000 tonnes aux États-Unis. Malgré cette large communication, personne d’APG n’a daigné répondre à nos questions. C’est en Californie que 99% des pistaches américaines sont produites. La culture y est souvent très intensive. Il y a cependant un hic : les fermiers seraient légalement obligés d’asperger leur sol, et donc de gaspiller des milliers de litres d’eau par jour dans un coin où il en manque cruellement, pour éviter la création de poussière. Les habitants des villes voisines auraient développé des allergies. Cette pistache-là a de quoi faire tache…
Or vert de Sicile
À des milliers de kilomètres de là, en Sicile, la pistache de Bronte reste, comme celle d’Iran, une denrée rare et très recherchée par les gourmets, les chefs (voir recette p. 42) et les pâtissiers. Avec environ 3000 tonnes, elle représente moins de 1% de la production mondiale. Les pistachiers poussent sur un terrain escarpé de roche volcanique de l’Etna. Il faut être une chèvre pour récolter les fruits, à la main, à l’aide d’une gaule et d’une grande bâche. Bronte est le seul endroit au monde où la récolte se fait un an sur deux, en année impaire (prochaine récolte en 2025) d’août à octobre. « C'est une façon de préserver la substance nutritive du sol et d’éviter de stresser l’arbre », avance Miki Lembo chez le producteur A Ricchigia. Ce qui fait grimper les prix. La Bronte est un véritable or vert. Tant et si bien qu’en 2019 une brigade de policiers a dû encadrer la récolte ! « Le sel et les minéraux de la lave apportent un goût spécial », poursuit Miki Lembo. Les pistaches de Bronte ont désormais une DOP, l’équivalent de notre AOP. Ce sont les seules, avec celles d’Égine, en Grèce, à avoir ce label.
De nouvelles plantations
Dans d’autres pays, comme la Tunisie, la pistache sort de terre. « Avec le changement climatique, on va vers une transition. Le pays a beaucoup moins d’heures de froid qu’avant. Or, beaucoup de cultures en ont besoin, comme par exemple la pêche. Les agriculteurs basculent de plus en plus vers des cultures peu demandeuses d’eau et de froid comme la pistache. La même chose se passe en France », analyse Fadhel Zribi, agronome et directeur de la société Food Quality en Tunisie. « De grosses pépinières se sont mises à produire des plants in vitro en Tunisie. Cela veut dire qu’il y a de la demande. Elles n’ont pas encore les certificats internationaux, mais cela ne va sans doute pas tarder. » Signe que la pistache a bien le vent en poupe. D’ailleurs, la France a relancé sa production en Provence. Ce qui est une bonne nouvelle, car on prête à la graine de nombreuses propriétés grâce à sa teneur en protéine végétale, minéraux et oligo-éléments (potassium, cuivre, magnésium, calcium) et vitamines (E, B1, B6). Elle réduirait le cholestérol et aiderait au bon fonctionnement de l’organisme, dont le cœur et la digestion. Une façon de se donner bonne conscience pour déguster une glace, des pâtisseries ou une viande au pesto de pistache. Après, inutile de dire que l’on voit la vie en vert.
Cet article est extrait du magazine Gault&Millau #4. Pour ne pas manquer les prochains, abonnez-vous.Ces actualités pourraient vous intéresser
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