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La piquette surfe sur la vague de fraîcheur

La piquette surfe sur la vague de fraîcheur

Justine Knapp | 29/07/2024 15:11

Boisson paysanne issue de la fabrication de vin, la piquette refait surface dans le vignoble malgré son interdiction.

“Pendant un temps, nous n’en avons plus fait la promotion, annoncent Maya Sallée et Nicolas Fernandez du domaine la Calmette, à Cahors. Les fraudes s’étaient déplacées jusque chez nous.” Car cette boisson paysanne et ancestrale est interdite depuis 1907, ce qui l’a progressivement effacée des campagnes.

Si dans le langage courant, la “piquette” désigne un vin de mauvaise qualité, à l’origine, il s’agit bien d’une boisson fermentée élaborée en ajoutant de l’eau sur le marc, c’est-à-dire la matière sèche (peaux, pépins, rafles, voire un peu de jus de raisin laissé dans la masse) qu’il reste après le pressurage du vin rouge. La piquette n’est pas du vin, mais elle en est issue. Elle remplissait les verres des vignerons et des ouvriers agricoles. La fraude massive de l’époque, reposant sur le fait de la faire passer pour du vin, a abouti à son interdiction. Mais quel sens celle-ci a-t-elle encore aujourd’hui ?

Les piquettes refont surface dans le vignoble. Certains domaines ne s’en cachent pas, espérant que change cette réglementation désuète. Dans les Corbières, Alexandre et Laurence They du Château Vieux Moulin proposent leur “bibine”, un marc de cinsault et de l’eau de source fermentés pendant dix jours. L’intitulé officiel annonce "boisson aromatisée à base de vin", une astuce légale. Quand la teneur en eau est plus importante, on peut indiquer “cocktail aromatisé à base de produits vitivinicoles”.

Un vrai casse-tête

Même démarche dans le piémont pyrénéen pour Antoine Arraou, du Château Lafitte. Un coup de fil à un domaine ami commercialisant une piquette a permis de prendre connaissance du filon : “C’est un vrai casse-tête, c’est malheureux.” Un rouge cerise soutenu se balance dans l’une des 600 bouteilles qu’il propose. La cuvée s’appelle “Vinò͘t”, tiré du nom béarnais qui signifie “petit vin”, comme lui ont soufflé les vignerons locaux dont les parents des grands-parents sirotaient ce breuvage commun.

“C’est une boisson disparue qui a tout, assure Antoine Arraou. Elle nous permet d’assurer une continuité à un produit de la vigne dans laquelle on met une énergie de dingue. Envoyer mon marc pour le faire distiller industriellement ne m’intéresse pas. Et puis, c’est facile à produire, facile à boire ! Ça ne coûte pas grand chose, dans tous les sens du terme.” La boisson affiche en effet 4,8% d’alcool, à l’heure où le vignoble évoque la désalcoolisation du vin quand les degrés s’emballent. “Encore un processus industriel”, souligne-t-il agacé.

“Notre marc de vendanges tardives, magnifique, appelle naturellement ce genre de produit. Il est confit, parfumé du boisé de nos vignes, encore humide de sucre pour créer l’effervescence en bouteille, comme un pétillant naturel.” Une capsule chapeaute le goulot de ladite bouteille. La bulle est fine, elle laisse s’échapper des effluves de gelée de framboise. C’est surtout la précision du jus qui retient l’attention, construit autour des notes ligneuses du marc, dans une subtile salinité (discrète comme dans une eau pétillante), de fins amers et une douce acidité qui restent et rafraîchissent.

Comment ces pépites de légèreté au caractère désaltérant, pile dans leur époque et à moindre coût (généralement entre 10 et 16 euros), ne connaissent-elles pas plus de résonance ? s’interroge Antoine Arraou. D’autant que la piquette remporte déjà un succès enivrant au Japon, aux États-Unis ou au Québec, qui l’a récemment autorisée en 2021. “C’est une boisson intelligente, historique et constructive. Dommage, en France, on loupe le coche pour un blocage administratif.”

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