Quand les assiettes racontent le menu
Dans l'univers de la haute gastronomie, chaque détail compte, surtout ceux que le convive touche du regard avant même de goûter. Grâce à leurs plats magnifiés par des contenants méticuleusement choisis, les chefs transforment les tables en toiles de maître.
Dans l’ombre feutrée des restaurants gastronomiques, l'art de la table se jouait souvent en coulisses, discret compagnon des festins. Aujourd’hui, les assiettes s'imposent comme une extension du menu. Elles murmurent à l'oreille du convive, l'invitant à la contemplation et à la dégustation. Dans cette interaction subtile entre le chef et son public, l'art de la table se révèle dans toute sa splendeur, sublimant la création sans jamais la dominer.
Autrefois symboles des tables haut de gamme, la vaisselle immaculée, les cloches en argent et les assiettes en porcelaine blanche ont cédé la place à des matières plus authentiques. Aujourd'hui, les chefs privilégient des décors reflétant leur philosophie culinaire. Place aux matières brutes, aux grès, au bois, aux céramiques aux bords irréguliers et aux vaisselles patiemment chinées. Cette évolution témoigne d'une prise de conscience : l'essence du propos de table réside dans l'harmonie entre le contenant et le contenu. Loin d'être une simple décoration, l'art de la table devient un vecteur d'émotion, essentiel à l'expérience gastronomique.
Si certains chefs préfèrent puiser dans les collections prestigieuses de grandes marques d'art de la table, d’autres optent pour des collaborations audacieuses avec des céramistes afin de créer des pièces uniques, offrant ainsi un écrin sur mesure à leurs créations. Ce travail, presque alchimique, donne naissance à des œuvres d'art où l'artisan et le chef dialoguent en harmonie.
Trois exemples où l'assiette devient le premier acte d'un voyage sensoriel
Jéremy Galvan et Ève Billard
Au cœur de la capitale des Gaules, le sanctuaire culinaire de Jérémy Galvan (2 toques) se présente comme une scène de théâtre. Avec une lumière tamisée et une entrée transformée en grotte peuplée de papillons, les convives sont plongés dans un univers sensoriel unique. En 2021, Galvan, en étroite collaboration avec la céramiste – et voisine- Ève Billard, a révolutionné son art de la table, abandonnant la vaisselle industrielle au profit de créations qui capturent l'essence de ses plats.
Pendant le confinement, période propice à la créativité, Jéremy Galvan et son équipe ont exploré le travail de l'argile, concevant des contenants uniques et fonctionnels. Ces prototypes bruts ont ensuite été confiés à Ève pour être sublimés. Ainsi s'est instaurée une dynamique créative entre le chef et Ève, une conversation où l'art culinaire et l'art céramique s'enrichissent mutuellement. Inspirée par la cuisine de Galvan, Ève crée de nouvelles formes ou s'inspire des esquisses du chef pour ses designs. "Notre collaboration est très enrichissante. Elle travaille parfois à partir de mes croquis ou imagine elle-même les contenants adaptés à mes créations, en harmonie avec l’univers du restaurant. Le cahier des charges est simple : travailler sur l’imperfection de la nature," explique Jérémy Galvan.
Ensemble, ils ont conçu une gamme d'assiettes, de couverts et de coupelles, spécialement élaborée pour accompagner les vingt-deux séquences d'un menu poétique. Chaque pièce de vaisselle devient ainsi une extension de l'expérience gastronomique, jouant un rôle crucial dans la narration de chaque plat. Pour Galvan, la cuisine est une quête, semblable à celle d’un metteur en scène réalisant un film ou une pièce de théâtre : "il faut susciter l’envie, les émotions et ne pas être monotone."
© Laurent Dupont
Arnaud Donckele et Virginie Boudsocq
Ancienne directrice artistique dans la pub, Virginie Boudsocq travaillait la porcelaine comme d’autres pratiquent le tennis : en hobby ! Jusqu’à ce que l'épouse d'un chef de palace repère quelques-unes de ses pièces dans une boutique à Saint-Rémy-de-Provence en 2016. Cette rencontre fortuite a été le terreau parfait pour une première commande : une assiette champignon, une pièce qui depuis a été maintes fois copiée. Elle fonde alors sa marque Olga.etc, du nom de sa grand-mère italienne. Très vite, cette assiette, unique en son genre, attire l'attention dans le cercle restreint de la haute cuisine, suscitant la curiosité des chefs.
Si Virginie avoue une préférence pour les grosses pièces de décoration, elle a vu, au gré des commandes qui s’enchaînaient, son parcours évoluer vers la création de vaisselle. "J'ai commencé avec des sculptures et me suis retrouvée à faire des assiettes", raconte-t-elle avec une pointe d'ironie. Mais Boudsocq, qui confesse ne pas avoir les moyens techniques d’une grande manufacture, choisit "ses" chefs avec parcimonie. Et même si ses créations se retrouvent sur les tables d’Emmanuel Renaut au Flocons de Sel (5 toques) ou d’Alan Taudon pour l’Orangerie (3 toques) à Paris, elle travaille principalement avec Arnaud Donckele, pour qui elle a fait une dizaine de collections.
Ainsi, pour le restaurant Plénitude (5 toques) à Paris, le chef a demandé à Virginie de développer une ligne d’art de la table qui va bien au-delà du simple contenant. On retrouve sur les tables du restaurant des sculptures de fleurs d'hortensia qui se révèlent être des photophores, des vases dévorés par des végétaux, de délicats centres de table fleuris et des sucriers en forme de corolle "je suis totalement amoureux de ses œuvres, chaque pièce est unique !" admet le chef. Virginie a également conçu des coupelles en forme de feuilles de laurier pour la Vague d’Or (5 toques) à Saint Tropez, où Donckele sert de petites bouchées de pain perdu. "Avec Arnaud, on amène une dimension beaucoup plus créative et même architecturale aux tables", explique-t-elle.
© Vague d'or - Cheval blanc
Thomas Besnault et Benoit Prud’homme
À proximité de Tours, niché dans 30 hectares de forêt, le restaurant Ardent, dirigé par le chef Thomas Besnault, s'inspire de la nature environnante pour créer une expérience culinaire unique. Ici, le marron, le vert, le bois et la terre ne sont pas seulement des couleurs et des matériaux, mais les fondements mêmes de l'esthétique du lieu. Les plats s'y fondent naturellement, grâce à une vaisselle soigneusement sélectionnée.
Thomas Besnault privilégie le grès, avec quelques touches de céramique et de verre coloré naturellement. Chaque nouveau plat trouve instinctivement son écrin parmi ces pièces, dans une harmonie naturelle et instinctive. "Quand on lance un nouveau plat, on regarde nos assiettes et on se dit que c’est là-dedans que ça va aller", confie Besnault. "On réfléchit aussi, comment le client va le manger de la façon la plus naturelle possible."
Le meilleur exemple est "l'effiloché de chevreuil de printemps", servi sur un bol en grès retourné. La texture de ce bol évoque une motte de terre, renforçant le lien avec la nature. Le plat est dégusté avec les mains, rappelant une époque préhistorique où l'on mangeait sans artifices, en se léchant les doigts. Cette approche sensorielle et immersive est au cœur de l'expérience chez Ardent.
Cette harmonie entre plats et vaisselle est possible grâce à la collaboration étroite entre Thomas Besnault et Benoit Prud’homme, un potier talentueux basé à Monnaie, en Touraine. Depuis 1971, l'atelier tourangeau de Prud’homme travaille une argile de la Nièvre, créant des pièces uniques, tournées, émaillées et décorées à la main. Portés par leur synergie, ils ont donné naissance à de petites assiettes pour servir un sorbet en fin de repas ou à une saucière inspirée d'un vase que le chef avait adoré. "Il nous faudrait le même en miniature et avec un bec", a demandé Besnault, et voilà une saucière unique, avec une finition froissée qui rappelle l'empreinte de la main, ajoutant une dimension esthétique et tactile au service.
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